[Journée d'étude] Le lieu le plus maladif du monde

10 déc. 2020
8h45 16h
En ligne via Zoom

Penser, habiter et aménager les environnements pathogènes en Europe (XVIe-XXIe siècles)

« Le lieu le plus maladif du monde » Penser, habiter et aménager les environnements pathogènes en Europe (XVIe-XXIe siècles)

le 10 décembre 2020

Compte-tenu des circonstances sanitaires, l'évènement se déroulera en ligne. Le lien d'accès se trouve en haut du programme.

Cette journée d’étude s’intéresse à l’histoire des environnements, milieux, lieux ou espaces considérés comme pathogènes. La description de la médecine de l’époque moderne, et plus particulièrement celle du XVIIIe siècle, comme science fondée sur une « approche spatiale » (topocentric approach) constitue un véritable lieu commun historiographique (Jankovic, 2010). Traditionnellement, cette vision de l’environnement comme déterminant la nature et la fréquence des pathologies est analysée comme un néohippocratisme fondé sur un deux idées principales (Rey, 1992). Tout d’abord, l’environnement dans lequel se développe une pathologie aurait une influence sur cette dernière et donc sur la nature des remèdes efficaces. Ensuite, le caractère toujours situé de la maladie rendrait nécessaire soit le déplacement du médecin lui-même, soit la confrontation de ses observations avec celles faites par d’autres praticiens ailleurs.


Selon le récit classique, cette « approche spatiale » disparaît ensuite au XIXe siècle, terrassée par une sériee révolutions théoriques et pratiques. Tout d’abord, la « naissance de la clinique » implique la constitution d’un monopole du soin dans un espace pensé comme « neutre » (Foucault, 1963 ; Ackerknecht, 1968). Ensuite, les travaux de Claude Bernard sur l’homéostasie et le développement de la théorie des germes concourent à déplacer l’attention médicale du milieu extérieur vers le « milieu intérieur » (Holmes, 1986 ; Latour, 2001). De même, Christopher Sellers analyse la transformation de la médecine au XIXe siècle au prisme de ses aspirations à une « neutralité environnementale », c’est-à-dire une pratique médicale pour laquelle le lieu de vie des patients n’a aucune importance (Kingston, 2010 ; Sellers, 2018). Par ailleurs, il souligne un paradoxe : l’émergence d’une recherche clinique de la « neutralité spatiale » (place neutrality) est contemporaine du développement de « médecines des milieux particuliers » (place defined specialties) (Sellers, 2018).


En dépit de leur intérêt, ces recherches s’inscrivent dans une histoire classique des sciences, centrée sur l’étude des institutions et des théories médicales à l’époque contemporaine. Pourtant, de nombreux travaux ont montré que la médecine des climats chauds était largement antérieure et qu’elle devait autant à la médecine militaire et maritime occidentale qu’aux savoirs autochtones (Chakrabarti, 2014 ; Raj, 2007 ; Schaffer et al., 2009). David Barnes observe qu’en dépit d’une supposée « révolution pasteurienne », « les stratégies concrètes recommandées pour prévenir les maladies n’avaient que peu changé » à la fin du XIXe siècle (Barnes, 2006). Enfin, Linda Nash propose de remplacer le récit de la disparition du néohippocratisme par celui d’une « brève période d’amnésie moderniste » (Nash, 2006 ; Akrich et al., 2010).


Cependant, la thèse d’une éclipse temporaire pose une série de problèmes, le principal étant qu’elle postule une continuité entre l’approche spatiale de la médecine néohippocratique et la médecine environnementale moderne (Salomon-Bayet, 2003). Cet anachronisme est même revendiqué par Linda Nash qui qualifie « d’écologique » la vision, très répandue au XIXe siècle, d’un corps « poreux », « perméable » et « vulnérable » à son environnement (Nash, 2006, p. 12). Pourtant, les médecins du début du XIXe siècle sont bien loin d’être aussi influencés par la pensée hippocratique qu’ils ne le prétendent. La référence au médecin grec était en effet souvent plus rhétorique que théorique (Taylan, 2018). De même, la « médecine des lieux particuliers » rompt dans une certaine mesure avec le néohippocratisme, notamment en raison d’une grande confiance en sa capacité à combattre les maladies environnementales (Harrison 2000 ; Jennings, 2006 ; Anderson, 2006). De même, l’historiographie des risques industriels a récemment montré ce que le changement de focale chronologique pouvait apporter à l’analyse (Le Roux, 2011 ; Fressoz, 2012).

Nous proposons donc d’étudier l’évolution des rapports entre santé et environnement dans une perspective de longue durée, précisément pour récuser tant le récit d’une pensée écologique remontant à l’Antiquité que d’un hippocratisme traversant les siècles. Nous chercherons ainsi à relativiser la « nouveauté » des perspectives environnementales, tout en tentant d’analyser les mutations profondes pouvant se cacher derrière un vocabulaire stable en apparence. Dans cette perspective, nous invitons les contributeurs et contributrices à proposer des communications autour des axes suivants :


1. Penser
Il s’agit ici de mettre en lumière la façon dont un milieu pathogène est appréhendé, décrit et traduit au prisme de la pensée savante ou profane. Les conceptions relatives aux environnements mettant en péril la santé des individus, quelle que soit leur nature, ne peuvent être comprises sans porter une attention particulière aux paradigmes sur lesquels elles reposent. Penser les environnements pathogènes s’entend ainsi, le plus souvent, comme l’intégration et l’intellectualisation de données empiriques, réunies par ceux qui les étudient, au sein de la théorie médicale.
2. Habiter
La connaissance des environnements pathogènes, et les représentations qui y sont associées, découlent de l’expérience acquise par ceux qui les ont fréquentés. Ces milieux exercent inlassablement leur action sur des corps voués à être remodelés par les influences qu’ils subissent. Les « habiter », en permanence ou avec régularité, requiert donc le développement stratégies individuelles destinées à préserver le corps de leur influence morbide, tel le régime.
3. Aménager
Outre l’adaptation des comportements et des pratiques vis-à-vis d’un environnement hostile, son aménagement à différentes échelles constitue le second volet des possibles. Il s’agit soit de le modifier dans son ensemble, par l’architecture, la mise en culture, etc. ; soit par la mise en place de milieux intermédiaires, fonctionnant à la manière d’un « deuxième placenta » (Jean-Claude Perrot, 1975). Cet aménagement est également social, dans le cadre de formes relatives à l’hygiène publique, l’action collective permettant de diminuer les risques encourus.


Comité d’organisation : Guillaume Linte (Université de Genève) et Paul-Arthur Tortosa (Université de Strasbourg/EUI).

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